We still are made of greed. (kostya)

Il est tard, mais Jo peine à trouver le sommeil. Il faut dire que la journée a été éreintante, à tel point qu’elle ne parvient pas à se vider l’esprit pour faire place à une bonne nuit de sommeil réparateur. En optant pour ce mode de vie, la jeune femme savait parfaitement dans quoi elle s’embarquait. Vivre des histoires différentes tous les jours, enquêter sur des choses parfois totalement farfelues mais surtout, faire régner l’ordre et montrer qu’une femme peut avoir de la poigne et du caractère. C’est sans doute la chose qu’elle préfère, Jo. Jamais elle n’a su rester en arrière plan, incapable de se taire face aux injustices dont elle était témoin. En devenant lieutenant de police, elle peut désormais remettre de l’ordre dans cette ville qui en a grand besoin. Mais ce job lui permet aussi de se croire au dessus des lois, manipulant les interdits avec brio. Depuis deux ans, Jo a fait la connaissance de Kostya. Un homme charmant, avec qui elle a tout de suite sympathisé. Membré d’un clan les plus réputés de la ville – que Jo a infiltré pendant quelques semaines avant de se retirer de l’affaire – il est de ces hommes dont la prestance en impose. Au-delà de cette carapace qu’il tente de se donner, Jo a su trouver des points communs avec lui et elle sait aujourd’hui qu’elle peut totalement lui offrir sa confiance.  Il est devenu son dealer officiel, lui fournissant la came dont elle a besoin pour lâcher prise. Incapable de faire face à ces démons qui lui brisent sans doute la santé, mais qui lui permettent d’oublier ses blessures bien trop profondes. Et ce soir, Jo souffre. Elle est hantée par de vieux souvenirs mais aussi envahie de tristesse en pensant à l’homme de sa vie. Lui, qui lui a été enlevé de façon bien trop brutale pour qu’elle puisse s’en remettre un jour. Jo souffre en silence, noyant son chagrin dans l’alcool et dans la drogue, quand celui-ci se montre trop récalcitrant. Il est tard mais elle décide de contacter Kostya pour obtenir de quoi se sentir mieux. Jo s’en veut de ne pas avoir prévu son stock, ce genre de choses n’arrive jamais d’habitude. Mais là, la brune est clairement en manque à en croire les tremblements qui s’invitent sur ses membres. Sans compter cette colère qu’elle ressent, incapable à dompter. Jo enfile un sweat sombre et un jean, puis se rend au lieu de rendez-vous habituel. Kostya est en retard, comme il lui avait dit. Les minutes défilent et lui semblent interminables. Jo s’allume une cigarette, bâtie dans l’ombre d’une ruelle en attendant son sauveur. Le jeune homme arrive enfin, après de longues minutes. « Putain j’ai bien failli devenir folle. » Elle annonce, incapable de se contrôler. « Tu as ce dont j’ai besoin ? » Qu’elle demande alors, la voix tremblante. Jo n’a jamais été dans un tel état et elle doit bien reconnaître que ne pas se contrôler la rend anxieuse à souhaits.

L'envie de ne pas répondre est fugace, mais elle germe tout de même, dans son esprit, l'espace d'un instant. L'envie de rester là, sur le canapé, Jude endormie dans ses bras depuis plus d'une heure, parce qu'il n'a pas osé se lever, la déposer dans son lit. Parce qu'il n'en a pas eu envie, même si ses bras commencent à s'engourdir. Il voudrait garder sa gamine contre lui, l'écouter respirer, paisiblement, ignorant tout du foutu monde dans lequel il vit, celui-là même qui lui a volé ses premières années de paternité. Une bouffée de rage s'empare de lui, toute aussi fugace que l'idée d'ignorer Jo, mais il ne peut s'en prendre qu'à lui-même, Kos, alors il tape une réponse. Bien sûr qu'il sera là, quel autre choix a-t-il ? Il hésite, quant à la marche à suivre, parce qu'il ne peut décemment pas emmener sa gamine, parce que même si c'était la seule option il préférerait encore crever, parce que sa gamine est sacrée et qu'il s'en veut déjà de la toucher avec des mains qui manipulent de l'argent sale et des sachets de came. Elle soulève une paupière tandis qu'il la mène jusqu'à son lit, et toute trace de colère s'efface instantanément de ses traits, reste une douceur infinie alors qu'il lui dit de se rendormir, pas tout à fait sûr qu'elle ait attendu la recommandation pour re-sombrer dans les bras de Morphée. Il la borde, embrasse ses cheveux, murmure jag älskar dig (tout ce qu'elle est parvenue à retenir de suédois, jusqu'ici, mais c'est largement suffisant), et frappe à la porte de la voisine avec cet air navré qu'il lui faut bien trop souvent arborer. L'heure est indécente, pour demander à ce que l'on garde sa fille, mais il trouve toujours une bonne excuse, un beau mensonge qui lui évite d'avoir à appeler Eva et à se faire passer un mémorable savon, ainsi que menacer de ne plus voir l'enfant. Il a pas le choix, qu'il se répète, une fois de plus, et il enfourche sa bécane pour récupérer la dose de Jo, avant de la rejoindre devant le heaven's gate, une grimace machinale face à l'enseigne. « J'suis content de te voir aussi. » Il relève l'absence des banalités usuelles avec un brin d'ironie, seulement il a bien remarqué l'état de la brune. Il l'a livrée suffisamment de fois, de façon régulière, mécanique, et il a appris à la connaître, à reconnaître les micro-expressions, à noter qu'elle n'avait jamais ces tremblements si caractéristiques des camés, du manque. Elle est prévoyante, jamais en manque, et puis il y a ce soir. « Désolé de pas être à ton entière disposition, Baxter. » C'est plus fort que lui, il a beau avoir remarqué les signes, il se renfrogne et répond à son hostilité avec la même antipathie – sa soirée écourtée avec Jude n'aide pas à le rendre accommodant, bien au contraire. Il pourrait s'excuser du retard, lui dire qu'il avait sa gosse, ce soir, mais il préfère garder la petite hors de ce genre de conversation, même s'il sait qu'elle sait, Jo, même s'il est impossible qu'une flic ne se soit pas renseignée sur son dealer. « Ouais ouais, tiens. Doucement, okay, t'as pas l'air bien. » Il a sorti le sachet de sa poche et le tend dans sa direction, puis se ravise, ferme le poing sur cette poudre qu'il a en horreur et la jauge du regard, attendant qu'elle confirme, promette de faire attention.

Jo ne contrôle plus la situation, c’est désormais certain. Ses mains tremblent, sa température corporelle est bien plus haute que la normale. La brune comprend rapidement qu’elle est en état de manque et ne parvient pas à trouver la force de se contrôler, de penser à autre chose. Conrad serait furieux de la voir dans un tel état. Son esprit est ailleurs, Jo s’évade un court instant dans le passé. Ce moment si parfait où sa vie avait un sens. Cette période où elle était si heureuse, aux bras de son âme sœur. Conrad. Tout son monde tourne autour de lui et la vie n’a plus aucun sens maintenant qu’elle doit la vivre sans lui. La colère chasse rapidement la nostalgie. Pourquoi elle ? Qu’a t’elle fait pour mériter une telle souffrance ? Jo ne comprendra jamais… Par chance, elle peut compter sur ce cher Kostya pour la sortir de là. Il va lui donner sa dose et tout rentrera dans l’ordre. Comme d’habitude. La brune le sait, elle doit se faire aider et parler à quelqu’un. Elle ne peut pas rester comme ça, la dépendance à la drogue pourrait lui coûter sa carrière. Mais au fond, Jo ne peut pas se passer des deux choses qui rythment désormais sa vie. Les seules choses qui la maintiennent debout. Postée dans la ruelle sombre, à l’abri des regards, Jo fait les cents pas. Les minutes lui semblent si longues, si intenses. La brune s’en veut à elle-même, jamais elle n’a été dans une telle situation. Jo est plutôt prévoyante, elle fait toujours en sorte d’avoir une doser « au cas où ». Pour ne jamais avoir à vivre ce qu’elle est en train de vivre ce soir. La jeune femme allume une cigarette, qui se consume rapidement tant elle tire dessus pour passer le temps. La nicotine est bien trop faible, rien ne change. Heureusement, Kostya se montre enfin. Sombre délivrance, qui va pouvoir lui sauver la mise. Quand il lui lance une petite remarque, Jo se rend compte qu’elle n’est plus la même. Le manque lui fait oublier la moindre des politesses, alors que le jeune homme est présent pour elle au beau milieu de la nuit. « Excuses moi. Je… Je ne me contrôle pas. » Elle confie, honteuse. Il doit sans doute avoir l’habitude. Kostya se montre hostile et Jo comprend rapidement qu’il avait bien mieux à faire que de venir lui vendre de la came. Malgré cela, la brune est incapable de ressentir la moindre compassion et n’a besoin que d’une seule chose : une dose. Après quoi, tout rentrera dans l’ordre. Le jeune homme lui tend le petit sachet et la met en garde, ayant remarqué que son état était bien loin de l’habituel. « S’il te plait donne le moi. » Le voir refermé le poing sur son Graal est bien trop dur à accepter. « J’en ai vraiment besoin. Je… Ça ne va pas du tout. » Elle se met à nue, elle qui est bien plus sûre d’elle en règle générale. Kostya la connaît depuis plusieurs années, il doit bien se douter qu’elle n’est vraiment pas bien. « J’irai doucement, je te le promets. » Qu’elle termine par dire, sans réellement savoir si elle pourrait tenir parole.