naked soul -- eugenia

@eugenia lopez

Elle jette un regard à l’horloge accrochée au-dessus de la porte de sa chambre, celle qui a quinze minutes de retard et qu’elle n’a jamais fait l’effort de remettre à l’heure. Soupire. Les heures passent trop vite, comme d’habitude. Pour une fois, elle avait congé aujourd’hui, congé de son boulot officiel du moins. Ce temps libre précieux, elle le passe souvent, comme aujourd’hui, à travailler pour son propre compte. Marketing, gestion d’abonnés, c’est la partie facile, dont elle s’occupe d’un air détaché sur son portable, un peu n’importe quand. Mais les photos, c’est la partie qui prend de l’ampleur, qui occupe son esprit à toute heure de la journée. Dans le bus, au travail, le soir avant de se coucher, elle pense à son prochain shoot. À l’heure où elle devra s’y mettre pour avoir la meilleure lumière, à la lingerie qu’elle devra penser de s’acheter, au maquillage qu’elle passera près d’une heure à perfectionner. À la musique qu’elle écoutera en prenant la pose devant ses miroirs, pour se donner le bon vibe pendant le décompte de son appareil photo. Les journées qu’elle y passe sont peu reposantes, et une fois qu’elle a fini elle retourne au restaurant, où elle affiche aussi ce visage séducteur qui semble tant plaire à ses deux clientèles, pourtant si différentes. Elle a fini pour cette fois, s’attelle à la tâche toujours ingrate de remettre sa chambre en ordre. Range la lampe spéciale photoshoot, l’appareil photo et son trépied, les trois ensembles de lingerie. Elle se rhabille, moins pas pudeur que par envie de marquer clairement le retour à sa vie ‘normale’, le passage de l’un à l’autre, difficile à établir quand c’est dans son lieu le plus privé qu’elle s’expose le plus. Elle regrette pas de s’être lancée dans ce genre de photo, parce que ça lui permet de s’offrir pas mal plus que si elle avait que ses heures au Lafayette. Mais malgré tout il y a cette gêne qui persiste en elle. Pas qu’elle ait jamais été du genre à juger ceux, et surtout celles, qui gagnent leur vie en offrant leurs corps, au contraire, elle les a toujours considéré avec admiration, peut-être un peu trop secrète. Mais certains doutes sont difficiles à écarter.

Elle se traîne jusqu’à la cuisine, se verse un verre d’eau, l’a à peine reposé, vide, qu’on frappe à la porte. « Come in ! » Elle a la flemme d’aller ouvrir, mais elle sait qui c’est, visite prévenue un peu plus tôt. « I’m in the kitchen, hold on a second », elle ajoute alors que la porte s’ouvre. Elle a à peine le temps de déposer son verre dans le fond de l’évier, en attente d’être lavé, que son amie pénètre déjà la pièce. Faut dire, l’appartement a beau avoir une allure acceptable, il reste petit, et entre la porte d’entrée et la cuisine il n’y a que quelques pas. Elle lui offre un petit sourire, s’approche pour la débarrasser, parce qu’Eugenia n’est pas venue les mains vides.

T'es bien heureuse de sortir de cet appartement. Tu t'y plais, bien souvent, t'arrives à y trouver une certaine tranquillité, mais pas ce soir. Ce soir tu y étouffes, tu as plus envie d'entendre personne, de voir personne. Tu veux juste pour respirer normalement, et ne pas sentir que ton job te suit jusqu'à chez toi. Alors tu es bien contente de savoir que tu peux claquer la porte et que t'auras pas à y être pour les prochaines heures. Mieux que ça ; tu t'en vas voir Sadie, et dans ce temps-là, tout va mieux. T'as l'esprit léger, comme c'est souvent le cas en pensant à ton amie. Dans ta vie depuis si longtemps, maintenant tu saurais clairement pas te passer d'elle. Pas, non plus, de ces soirées que vous savez vous partager, qui sont sincères, honnêtes, vraies. Alors les rues de Chicago ne te paraissent pas tellement menaçantes ce soir, et la vie pas si noire, alors que tu t'en vas retrouver Sadie. Tu t'arrêtes au supermarché du coin pour acheter le nécessaire, avec un petit sourire aux lèvres. Ça serait pas une vraie soirée sans une bouteille de rosé, ça c'est certain. Tu te rends jusqu'à l'appartement en profitant de la brise sur ton visage, l'esprit assez serein, pour une fois.

Tu toques à la porte et rapidement, tu entends la voix de ton amie au travers de cette dernière. « Come in ! » Tu jettes un coup d'oeil à ton téléphone, t'es un peu d'avance, mais tu sais que Sadie t'en voudra pas. Alors tu pousses la porte, et tu entres dans l'appartement. « It's me ! » Que tu dis en chantonnant légèrement, enlevant ta veste de sur tes épaules pour te mettre plus confortable. « I’m in the kitchen, hold on a second. » Tu ne lui laisses pas le temps, tu te diriges vers la cuisine par habitude pour la retrouver là. Toujours la même, toujours aussi belle, avec ses taches de rousseur et ses cheveux sombres. « Hey, you. » Tu lui tends la bouteille de rosé avec un sourire complice, te sentant déjà bien mieux à être là, avec elle. « Brought the essentials. » Que tu dis avec un petit rire, avant de prendre ton amie dans tes bras. C'est dans tes habitudes, tout simplement. « Sorry I'm a little early. I just wanted to be out of my apartment, y'know. » Tu soupires légèrement, avant d'observer les traits de Sadie. « How are you ? » Un truc dans le regard, peut-être, tu sais pas. Un tracas, un doute.
Dis-moi tout.
Tu sais que je serai toujours là pour toi.

[ @sadie mara   ]

@eugenia lopez

Il y a de ces amitiés qui sortent du lot. Longues et douces, comme un cours d’eau, elles lui font de ces amis qui évoluent en parallèle, toujours à portée de main. Eugenia et Sadie, ça remonte à loin, si longtemps qu’elle doute se rappeler leur toute première rencontre. Mais leur amitié, c’est devenu une constante, un point de chute en cas de doutes existentiels, une de ces relations précieuses sur laquelle elles peuvent toutes les deux compter. Ce n’est pas qu’elle se rappelle toujours explicitement leur douce enfance partagée, mais c’est elle qui leur a construit cette base, puissante, confortable. Alors quand elle voit son amie faire irruption dans la pièce, elle ne résiste pas à la vague de réconfort qui l’assaille spontanément. Peu de choses lui réchauffent autant le cœur, de cette timide chaleur diffuse allant crescendo, comme cette confiance indélébile qu’elle a pour Eugenia.  Et elle n’avait besoin que de ça, aujourd’hui, que d’un petit baume pour l’âme.

« Hey, you. » Sa voix devenue si familière, trahit une bonne humeur qui fait plaisir à Sadie. « Brought the essentials. » Elle récupère la bouteille, lui rend son sourire, par réflexe, parce qu’elle est terriblement contente de la voir, puis son étreinte, hume le parfum léger de ses cheveux.  « Thank god you didn’t forget. » Elle plaisante, sourire un peu taquin, mais le message reste : I’m in the mood for a little pick-me-up. Sadie sort deux coupes du haut d’une armoire, attrape l’ouvre-bouteille dans un tiroir.   « Sorry I'm a little early. I just wanted to be out of my apartment, y'know. » Sadie fronce les sourcils, le temps d’une seconde. Elle connaît bien le sentiment, cette agitation qui la pousse parfois, elle aussi, à s’échapper de chez elle dans l’espoir de trouver une distraction. Mais elle espère que Genia n’en souffre pas trop. Elle prend son temps pour remplir les verres, répond alors qu’elle en tend un à Eugenia. « Don’t worry, you’re always welcome over anyways. » Elle a un petit rire, parce que l’ironie ne lui échappe pas : si son amie s’était présentée une dizaine de minutes plus tôt à peine, Sadie n’aurait pas pu lui offrir un tel accueil. Mais le message reste vrai. Même occupée, elle saurait accourir auprès d’Eugenia à la moindre demande. « How are you ? » Elle accuse un court silence, pas certaine de sa réponse. Pas qu’elle considère mentir, mais elle a évité de se poser elle-même cette question ces dernières semaines. Elle se branche pour la réponse la plus vraie, même si ce n’est peut-être pas la plus complète. « Mostly tired, to be honest. And stressed out. » Elle a de nouveau un petit rire, plus par auto-dérision que pour réellement détendre l’atmosphère. Elle se tire une chaise, s’assoit. Ne prend pas la peine d’inviter Genia à l’imiter, pas par impolitesse, mais parce qu’elles savent toutes les deux très bien qu’elles sont chez elles l’une chez l’autre. « Oh, don’t take that chair, Olive is on it. » qu’elle prévient tout de même, apercevant sous la table son serpent, Olive, qui pique une sieste et qui, d'ordinaire, n'aime pas trop qu'on la dérange. Mais elle pense toujours à la question, pourtant si simple, qu’Eugenia lui a posé. Elle sait qu’elle s’attend à une réponse franche, et non à des banalités creuses, mais elle rechigne malgré tout à lui lancer d’un bloc tout le fardeau qui fait voûter ses propres épaules ces derniers temps.