Oisín O'Sullivan
Aim High... Fly, Fight, Win !
âge, naissance / 45 ans, né le 07 mars 1975 à (London)Derry, Irlande du Nord, d'un père nord-irlandais et d'une mère américaine. nationalité / nord-irlandais et américain. emploi, $$$ / Colonel de l'US Air Force. statut civil, sexualité / Hétérosexuel - Marié, deux enfants. affiliation / Aucune. à chicago depuis / fin 2014. groupe / Chicago Lions.
( get to know me )Bon vivant, loyal, cynique, sens des responsabilités, sanguin, peu bavard, vif d’esprit, attaché à sa famille et ses racines, aventureux, autoritaire, fier.“
I’m fine, Doc. I really am.”
Certes, en trois mois, il n’a pas encore eu le temps de se remettre complètement de son emprisonnement. Il n’a pas encore récupéré sa musculature puissante ni même ses poignées qui font fondre sa femme – mais ça, il ne s’en plaint pas, il ne les a jamais tellement appréciées celles-là. Il sait que ses joues sont encore un peu trop creusées, et que ses cernes sont trop noires pour ne pas trahir les courtes nuits.
Mais il donne le change.
Comme toujours.
Il ne trompe pas vraiment le médecin, d’ailleurs. Mais ce dernier fait mine de ne pas relever et joue le jeu d’un patient qui n’a pas envie de s’éterniser.
Il n’a jamais vraiment aimé l’hôpital. Depuis le premier accouchement de sa femme, à bien y réfléchir, il a commencé à détester cet endroit qui, pourtant, devrait être rassurant. Et son dernier séjour prolongé ne l’a pas encouragé à l’apprécier davantage.
Il n’avait alors qu’une hâte : pouvoir à nouveau manger quelque chose de comestible et qui ne soit pas de cette horrible purée accompagnée de gelée verdâtre en guise de dessert.
La consultation se poursuit. Le médecin vérifie que la main droite du Colonel O’Sullivan s’est remise des multiples fractures subies. Il ne retrouvera sans doute jamais sa dextérité première, lui avait-on rapidement fait remarquer. Des hommes plus jeunes que lui n’y sont pas parvenus après des mois de rééducation, et il lui faut commencer à envisager de finir sa carrière cloué au sol.
Et il n’y a pas que les médecins qui le lui disent. Il y a sa femme aussi, qui, elle, va plus loin dans la demande et attend de lui qu’il prenne sa retraite, purement et simplement. Après vingt-deux ans de service, il peut largement y prétendre !
Suivant les demandes du docteur, Oisín esquisse plusieurs mouvements avec sa main droite, plie les doigts, grogne face à la raideur de certaines phalanges. Il doit encore suivre plusieurs semaines de rééducation, évidemment. Ça se comptera peut-être en mois, d’ailleurs.
Il ne veut pas penser à l’après. Quitter l’armée ? C’est envisageable, autant pour sa famille que pour les beaux yeux d’une personne qui le hante beaucoup trop. Mais pour faire quoi ? Il n’est pas encore grabataire, qu’il sache ! Du haut de ses quarante-cinq ans, il est dans la force de l’âge et ne se voit pas s’enfermer dans un boulot de bureau. Il n’oublie pas qu’il pourrait rejoindre l’ingénierie civile, ou même rejoindre les personnels civils de l’armée de l’air pour s’occuper des engins restés au sol. Mais pourrait-il vraiment renoncer à l’adrénaline, à la camaraderie ?
Il récupère son tee-shirt quand le médecin lui annonce qu’ils en ont fini et l’enfile avec des gestes précautionneux pour ne pas tirer sur ses cicatrices encore fraîches. Il répond d’un air un peu distrait quand on lui rappelle la date de leur prochain rendez-vous de suivi ainsi que les séances de rééducation.
Et ne tarde plus à prendre la poudre d’escampette, impatient de se tirer de ce rendez-vous qui le met mal à l’aise.
Il n’aime pas se sentir ainsi vulnérable. Il préfère de loin la posture du père de famille, l’homme solide qui protège et veille à la sécurité de chacun, sans vraiment se rendre compte qu’il s’agit d’un schéma qu’il répète sans y faire attention. Non pas qu’il considère les femmes comme ses inférieures, bien sûr, mais l’éducation catholique et ses principes patriarcaux ont laissé des traces chez cet homme qui ne les a jamais vraiment remis en question.
“
Hi Dad !”
La portière de la voiture claque et le Colonel laisse un sourire s’esquisser en voyant sa fille revenir de l’école en même temps que lui revient de son rendez-vous. Sa petite fille, son bébé. Et pourtant, elle a déjà tout de la jeune femme. Il la regarde toujours avec cet éclat de fierté dans le regard, celle du père qui aime ses enfants plus que tout et qui déplacerait des montagnes juste pour les voir sourire. Il n’est pas moins fier de son fils, même s’il préfèrerait le voir passer moins de temps sur sa console, fait-il remarquer en avançant dans la maison. Un ronchonnement tout adolescent lui parvient depuis le canapé, mais ne l’inquiète pas : Patrick sait pertinemment que s’il fait trop mine d’ignorer le message, son père coupera éteindra purement et simplement la console sans préavis – et sans lui laisser la possibilité de sauvegarder sa partie.
C’est que les militaires ne sont pas connus pour leur laxisme, et qu’il n’y fait pas exception.
________Medical Care □ Un médecin, une infirmière, ou un patient même, rencontré à l’hôpital. Oisín vient d’y passer un certain temps et après quelques temps, il a pu se montrer plus amical avec les personnes qu’il cotoyait au quotidien. Une sorte de thérapie pour lui aussi, une façon d’oublier les horreurs vécues pour revenir à des rapports plus simples et plus sains.
Neighbours □ Une famille qui en côtoie une autre, un couple qui se rapproche de ses voisins, ce sont des situations habituelles du quotidien. D’autant plus que, dernièrement, réaliser les travaux d’entretien de la maison devient plus compliqué pour Oisín qui se voit contraint d’accepter les mains tendues, quand bien même doit-il s’asseoir sur sa fierté mal placée pour ça.
Sport Friends □ Vous voyez en dents de scie depuis plusieurs années parce que vous fréquentez la même salle de sport. Par besoin de s’affranchir un peu de l’atmosphère étouffante de la base, Oisín a délaissé les équipements fournis sur place pour trouver un lieu plus adapté en ville. Il ne s’y rend pas forcément pour la performance mais plus pour pouvoir se détendre, et éventuellement se faire des copains.
Il garde l’entraînement sérieux pour le boulot.
________( everyday superhero )Part OneMars 1975
“
Are you really sure of yourself ?”
Tu es vraiment sûr de toi ?Les époux échangent un regard lourd de sens, bien qu’ils sachent l’un et l’autre la réponse à cette question. Cela fait des mois qu’ils se préparent à l’arrivée de leur troisième enfant. Ils ont eu un débat passionné à la naissance de leur fille aînée pour choisir son prénom. Non pas que Cate ait de réelles réserves à donner un prénom des plus irlandais à ses enfants, bien sûr. Les sonorités si poétiques, les orthographes pour le moins étrange, le doux parfum de ce pays dans lequel elle vit depuis maintenant plusieurs années... Ils ont tout pour plaire.
Mais dans le contexte actuel, est-ce vraiment une bonne idée ?
À la naissance d’Aoife, ils ont longuement pesé le pour et le contre. Un prénom à consonnance religieuse, plus particulièrement catholique, serait difficile à porter dans cette partie de l’Irlande. Mais un prénom celtique ? Autant dire que leurs enfants devront traverser la frontière d’une façon ou d’une autre s’ils veulent trouver du boulot.
Puis lorsque Siobhán a fait son apparition, l’ambiance s’était tendue encore d’un cran supplémentaire sur ce petit bout de terre coincé entre les montagnes et la mer. Mais ils s’étaient dit que ça irait.
Aujourd’hui, le doute n’est plus permis. Les relations entre la Grande Bretagne et sa plus proche colonie sont plus instables que jamais, et Eoin, républicain convaincu, est au premier plan. Ils ont encore en tête, tous les deux, la tragédie qui a secoué leur ville trois ans auparavant.
Sunday, Bloody Sunday...Pourtant, ils ne renoncent pas à ce qu’ils considèrent comme une marque d’indépendance, une provocation supplémentaire envers ce qu’ils voient comme une autorité illégitime.
“
I am.”
Je le suis.D’un même geste, les deux parents baissent le regard vers le tout petit garçon gigotant dans les bras de sa mère, dérangé par la conversation alors qu’il tente de trouver le sommeil. Il s’enfonce dans la couverture, appuie son petit poing potelé contre le sein nourrissier.
“
Oisín it is, then.”
Ce sera Oisín, alors.Juin 1983
Quand on est enfant, tout est toujours merveilleux.
Enfin, presque. Il n’est pas tous les jours facile d’être le
petit dernier. Les deux grandes soeurs adorent l’embêter, lui faire passer un sale quart d’heure quand il a l’outrecuidance de rétorquer, et s’octroient des privilèges sous prétexte qu’elles sont les plus grandes. Ce ne sont que des chamailleries d’enfants, mais aujourd’hui, Oisín n’en peut plus. Plutôt que de jouer dans le jardin avec les deux filles, il préfère demander l’autorisation d’aller chez leurs voisins. C’est avec un doux sourire que Cate laisse son petit garçon filer dans la maison d’à côté.
Elle a bien vu la tendresse naissante entre son fils et la petite voisine. Ce ne sont que des enfants, mais on voit déjà, sous couvert de la simplicité des rapports enfantins, la complicité et l’affection qui les lient l’un à l’autre. Ils se sont tout de suite entendus, tous les deux, et ce dès que Faith et ses parents ont emménagé dans le quartier.
Combien de temps les deux petits s’étaient regardé à la dérobée, guettant d’un jardin vers l’autre ? Il avait fallu que Siobhán lance le ballon un peu trop fort pour le contact entre les deux plus jeunes se fassent. Et depuis ils se voient régulièrement.
À l’école. Après l’école. Les week-ends. Ils jouent aux jeux de société, échangent les cartes d’un jeu à la mode, évoque héros de roman qu’ils ont lu tous les deux.
Ils sont loin des tracas du monde des adultes. Loin des tensions qui s’exercent. Oisín ne s’inquiète pas des retours tardifs d’un père qu’il ne voit que les week-ends, pas plus que de l’angoisse que sa mère tente de faire disparaître dans les attentions renouvelées qu’elle a envers ses enfants. Ils n’ont pas conscience des attentats qui secoue les vertes contrées d’Irlande du Nord.
Ils entendent des histoires, bien sûr. Ils sont tous touchés à leur façon, ont tous perdu un proche de la famille d’une façon ou d’une autre, sans trop savoir ce qu’il s’est réellement passé. Rien qui ne les empêche de vivre avec insouciance ces premières années de leur vie.
Novembre 1984
Dear Faith,Assis à la table de la cuisine, Oisín réfléchit. On commence une lettre comme ça, mais qu’écrire après ? Tout était allé tellement vite ces dernières semaines qu’il n’était même pas sûr de se souvenir de tout. Il y avait eu l’absence de Papa, pendant plusieurs jours. L’angoisse de Maman, bien sûr, mais aussi d’Aoife et Siobhán, assez grandes pour savoir que quelque chose d’inquiétant s’était passé pour qu’il ne rentre pas à la maison. Il avait eu peur, se souvient-il, sans savoir si c’était parce qu’il craignait vraiment qu’il arrive quelque chose à son père ou si c’était parce qu’il avait absorbé l’ambiance pesante de la maison.
Et puis il était revenu. Amaigri, le visage tuméfié, presque méconnaissable. Dans les mots qu’il avait échangé avec leur mère, Oisín n’avait réussi qu’à surprendre quelques brides : ça parlait de garde à vue, de violences, d’interrogatoire. Il y a aussi le nom de
Thatcher qui revient plusieurs fois.
Du haut de ses neuf ans, il ne comprend pas trop ce que le Premier Ministre vient faire là dedans, sans faire le lien avec l’attentat qui a eu lieu à Brighton dans les jours précédents. On ne lui expliquera jamais si son père était directement impliqué, s’il savait des choses, ou si c’était ses liens avec l’IRA qui avait conduit à cette arrestation pour le moins musclée.
Tout ce qu’il sait alors, c’est qu’ils doivent quitter le pays. Et que traverser la frontière pour aller vers le sud n’est pas une option.
La famille n’est plus en sécurité à Derry : ils ont donc dû partir en catastrophe, abandonnant tout derrière eux pour rejoindre le pays de la mère de famille : les Etats-Unis.
Le bout du stylo entre les lèvres, le garçon essaie de remettre la suite des évènements en place. Il a dû faire ses bagages avec ses soeurs, et ils sont allés s’installer en catastrophe chez leurs grands-parents en banlieue de New York. Pour le moment, ni Papa ni Maman n’ont de travail, donc ils ne peuvent pas avoir d’appartement à eux.
Et lui est obligé de partager une chambre avec ses deux soeurs, ce qui ne plaît à aucun des trois.
Puis une idée lui vient enfin. Il écrit rapidement quelques excuses sur son papier à lettres, pour faire savoir à la petite fille restée en Irlande qu’il n’a pas eu le temps de lui dire au revoir. Il ne s’attarde pas sur les détails, et s’attache alors à lui faire part de tout ce qui est bizarre ici. Les américains parlent avec un accent bizarre, et puis tout est énorme ici.
Ce sera le début d’une longue correspondance pour relier l’Europe au Nouveau Continent.
Juillet 1990
Depuis quelques jours, c’est l’effervescence.
Après des moments difficiles, la famille O’Sullivan a su s’adapter à sa nouvelle vie. Les trois enfants ont dû apprendre ce qui tient presque de la nouvelle langue – comment ça, les américains utilisent pas le mot
craic ? Mais c’est un mot qui sert à tout ! – et se refaire un cercle social. S’adapter à une nouvelle culture, qu’ils n’avaient fait qu’effleurer au travers des récits de leur mère et des visites irrégulières de leurs grands parents.
Ça n’a pas été simple tous les jours. Oisín s’est fait remarquer à l’école bien trop vite au goût de ses parents. À peine un mois ou deux après leur arrivée, il se battait déjà avec ses camarades, et avec une régularité inquiétante. C’est que l’accent irlandais n’est pas du goût de tout le monde, et qu’il ne se laissait pas faire, p’tit père.
Alors on a voulu le mettre au sport, pour lui permettre de décharger cette rage qui s’était finalement éveillée en lui. Aucun n’avait trouvé grâce à ses yeux : ils ne demandaient pas la stratégie du football gaélique ou la technicité du hurling... Et puis, finalement, on l’avait inscrit aux sports de combat.
Et il avait adoré ça.
En tout cas, si Oisín suit une scolarité en dents de scie, ce n’est pas le cas de sa soeur aînée qui espère pouvoir mener de brillantes études. La famille n’ayant pas les moyens de les lui faire suivre dans leur pays d’accueil, Aoife a décidé de retourner en Irlande.
Mais côté République, cette fois : elle part pour Dublin.
Alors toute la famille s’organise, l’aide à préparer son départ, Oisín y compris, bien qu’il se montre pour le moins bougon. Si elle retourne en Europe, cela signifie qu’ils ne la reverront pas souvent. Et l’adolescent n’aime pas tellement voir son petit monde changer.
Il ne se doute pas, alors que la famille accompagne Aoife à l’aéroport, qu’elle ne reviendra pas et s’installera là-bas durablement.
Septembre 1993
“
Yeah ? Och, Ma’, you know you don’t have to call me everyday, right ?”
Ouais ? Oh, M’man, tu sais que tu es pas obligée de m’appeler tous les jours, hein ?Parle toujours mon lapin. Le petit dernier est parti pour l’Alabama, et la maison paraît bien vide maintenant qu’il s’en est allé. Avec l’aînée en Irlande et la cadette partie en Californie, c’est à se demander ce qu’elle a fait au bon Dieu pour que tous ses enfants mettent autant de distance entre eux et leurs parents ! Alors Cate compense comme elle peut et essaie de s’accrocher encore un peu à son
petit garçon – oui, alors qu’il a dépassé le mètre quatre-vingts – désireux de goûter à l’indépendance.
Depuis que Siobhán est partie, il étouffe. Il a l’impression d’avoir sa mère en permanence sur le dos, et il subit plus encore la pression paternelle – qui n’est déjà pas des moindres en temps normal. Ses résultats scolaires ne lui permettaient pas d’entrer dans de grandes universités, d’autant plus qu’il n’arriverait jamais à décrocher une bourse d’études.
Mais il était hors de question qu’il aille à l’université la plus proche de chez lui.
Alors il avait cherché. Il avait fouillé. Sa
senior year avait sans doute été la meilleure de sa scolarité, comme s’il avait enfin compris qu’il tenait là le passeport vers sa vie future, une vie faite d’indépendance et d’aventures.
Loin du cocon familial imposé par une mère qui n’avait jamais réussi à se libérer d’une angoisse accumulée pendant ses années de vie en Irlande du Nord.
Comment en était-il venu à se poser la question de l’armée ? Aujourd’hui, il serait bien incapable de s’en souvenir. Une campagne de recrutement, peut-être. L’encensement autour des vétérans du Vietnam, ou bien la façon dont on mettait en avant les héros revenus de la guerre du Golfe. Ou bien un tract attrapé négligemment dans la rue, peut-être même avait-il poussé la porte d’un centre de recrutement, curieux.
Toujours est-il que l’idée a fait son chemin.
L’armée.
Il n’y avait jamais songé.
Mais c’était une occasion rêvée : il rejoignait la réserve, et une partie de ses études étaient payées.
Et puis, mine de rien, l’aviation, ça l’avait toujours fasciné, dès le premier orteil mis dans une carlingue alors qu’il n’avait que huit ans.
“
Aye, aye,” répond distraitement le jeune homme à une remarque quelconque. “
’Tis fine, don’t you worry. Gotta go, talk to you later.”
Ouais, ouais. Tout va bien, t’en fais pas. J’dois y aller, à plus tard.Il raccroche le combiné dans un soupir agacé. À croire que même en mettant plusieurs centaines de kilomètres entre lui et sa mère, elle n’était toujours pas prête à lui lâcher la grappe. Il se passe une main sur le visage, tente de ne pas s’agacer plus que de raison avant de prendre ses affaires pour rejoindre le campus.
S’il y a bien une chose qu’on ne tolère pas au
Community College of the Air Force, ce sont les retards.
Août 1994
Il est beaucoup trop nerveux.
Au milieu d’autres badauds regroupés dans le hall de l’aéroport, Oisín remet en place une mèche de cheveux courts qui n’a pas besoin de l’être. Il guette le panneau des arrivées à le recherche du vol qu’il attend, dévisage chaque personne qui sort des entrailles du bâtiment, valise à la main.
Il a reçu une lettre d’Irlande, il y a de cela un mois déjà. Rien d’anormal à ce sujet, si ce n’est le fait que deux amis d’enfance aient réussi à maintenir une correspondance régulièrement pendant toutes ces années et ceux alors qu’ils n’étaient encore que des enfants.
Cette lettre, il l’a lue.
Et relue.
Plusieurs fois.
Sans réussir à croire ce qu’il y lisait.
Après une année à l’université de Belfast, Faith a obtenu un échange avec une université américaine de la Côte Est. Elle ne sera certes pas en Alabama, mais elle sera plus proche de lui qu’ils ne l’ont plus été depuis... Depuis bien trop longtemps. Elle est arrivée au début du mois pour pouvoir prendre le temps de s’installer, et a évoqué l’idée de venir passer quelques jours à Montgomery.
Et ça lui fait bien trop plaisir.
Alors il est là, maintenant, à piétiner d’impatience, ravi qu’il est de se dire qu’il pourra, très vite, revoir cette amie laissée derrière lui pour des causes qui les dépassaient alors. Cette joie est toutefois largement dominée par sa nervosité.
Ça fait dix ans qu’ils ne se sont pas vus.Il a beaucoup changé en dix ans. Les rondeurs de l’enfance ont fait place à un visage bien plus anguleux, à des traits plus marqués. Il a perdu ses quelques taches de rousseur, a vu sa carrure se développer, ses épaules se carrer. Et elle ?
Il n’attend plus très longtemps avant de le savoir, et, malgré les années, la reconnaît immédiatement. Ses boucles rousses, son sourire rayonnant, ses grands yeux noirs sont exactement comme dans ses souvenirs.
Son enthousiasme débordant aussi, alors qu’elle se jette littéralement dans ses bras et qu’il peine quelque peu à la rattraper face à tant d’euphorie.
Une allégresse pourtant partagée.
Ils ne se sont pas vus depuis dix ans, et elle est bien là.Mieux encore : elle compte rester là pendant les deux prochaines semaines, avant que la rentrée universitaire ne les renvoient à leurs obligations.
C’est avec un plaisir non dissimulé que les deux amis d’enfance se retrouvent et renouent avec une complicité inchangée. Oisín lui fait visiter les environs, l’amène loin des sentiers touristiques – on ne va pas parler que de Martin Luther King pendant deux semaines ! – lui fait découvrir les charmes cachés de cet état du sud. Faith lui rappelle les vertes prairies irlandaises, fait chanter son accent, et ils se surprennent parfois à ne plus échanger en anglais mais en gaélique, la langue de leur enfance, enseignée par des parents refusant de renoncer à cet héritage. Les rires sont de mise, ponctués parfois par une remarque plus cynique qu’une autre, un trait d’esprit plus vaseux que les précédents, un sous-entendu qui n’a plus rien d’innocent.
À quel moment se sont-ils rendu compte qu’il ne s’agissait absolument plus d’amitié ?
En ce qui concerne Oisín, ça a été quand il a senti ses lèvres contre les siennes, sans savoir lequel des deux avait amorcé ce mouvement tout à fait spontané. Mais dès qu’il a goûté à ces délices irlandaises, il a su qu’il n’arriverait plus à s’en passer.
Janvier 1996
“
A chroí ?”
Après les célébrations des fêtes de fin d’année, il leur reste, à l’un comme à l’autre, une semaine de congés. Rompu de fatigue après plusieurs soirées en famille dans les alentours de New York, Oisín n’aspire qu’à un peu de repos. Et ça tombe bien, parce qu’il a prévu de passer ces derniers jours avec sa petite amie. Ils se sont si bien entendus – ahem – qu’elle a décidé que ses études américaines se prolongeraient, et qu’elle finirait son diplôme ici. Encore quelques mois, et ça sera dans la poche. Ils ont des projets, déjà, pas tous très réalistes, comme deux jeunes gens peuvent en avoir alors qu’ils démarrent à peine leur vie à deux. Elle le rejoindra en Alabama le temps qu’il termine ses études d’ingénieur en aéronautique, et ensuite ils se laisseront porter par les promesses d’une vie inconsistante, traînés d’une base à l’autre peut-être, ils ne savent pas trop encore comment cela pourra se passer. Et puis après quelques années, ils auront économisé assez pour s’offrir une petite maison, et ils pourront se poser pour de bons, se marier, fonder une famille...
“
Faith ?”
Face à l’absence de réponse, il a fini par ouvrir la porte. Sac sur l’épaule, avec des affaires pour tenir une semaine, il jette un oeil dans l’appartement de la jeune femme. L’inquiétude le gagne. Pourquoi la porte est-elle ouverte si elle n’est pas là ? Pourquoi n’est-elle pas venue ouvrir si elle est là ?
Il ferme derrière lui et laisse son sac tomber à terre dans un silence des plus total. Il ne sait pas à quoi s’attendre et se tient sur ses gardes. Il n’y a pas de raison qu’elle soit en danger, se dit-il, mais finalement, que sait-il de sa vie ici ?
Un son des plus disgrâcieux lui parvient. La salle de bain ? Il fronce les sourcils et s’y dirige, pousse la porte avec mille précautions et se détend de façon perceptible quand il découvre sa petite amie.
Pour s’inquiéter de plus belle en comprenant qu’elle est penchée sur la cuvette des toilettes et est l’auteure des bruits peu ragoûtant qu’il a entendu plus tôt.
“
Cad é mar atá tú ?” interroge-t-il en venant poser un genou à terre, à ses côtés. Elle ne va pas bien, de toute évidence. Est-elle malade ? Elle a l’air bien pâle alors qu’elle redresse le visage vers lui. Elle voudrait le rassurer, mais seule une grimace traverse son visage alors qu’elle se penche de plus belle. Il est alors condamné à rester là, impuissant, à ne rien pouvoir faire d’autre que de lui tenir les cheveux et de lui murmurer quelque parole tendre.
Ce n’est que de longues minutes plus tard qu’il la laisse se débarbouiller, allant leur préparer un café pour chacun, sans se douter de ce qui l’attend. Il la voit revenir, avec quelques couleurs revenues sur le visage. Il l’enlace dans un geste affectueux, l’embrasse sur le front avant de lui tendre une tasse.
Une tasse qu’elle n’a pas le temps d’attraper qu’il l’a déjà lâchée.
La céramique se brise, le liquide chaud se répand.
A l’indifférence générale.Elle vient de lui annoncer être enceinte.
Mai 1996
“
I can’t do this...”
Je vais pas y arriver...D’un geste maladroit, le jeune homme glisse les doigts entre son cou et son col comme pour desserrer ce dernier. Il est mal à l’aise dans son costume. Il se sent engoncé dans le tissu, le cou enserré aussi sûrement que s’il l’avait été par la corde qu’on y passera dans les instants qui viennent.
Oui, bien sûr qu’il l’avait envisagé. Il savait que ça arriverait, tôt ou tard. Quand on vient d’une famille dont la tradition catholique remonte à la nuit des temps, on a du mal à envisager une vie de famille sans passer par l’étape du mariage. Mais pas si vite !
Ils n’ont que vingt-et-un ans !
C’était pourtant paru comme la chose la plus sensée à faire. Les choses allaient être suffisamment difficiles pour Faith sans lui rajouter le fardeau de l’homme lâche, incapable de faire face à ses responsabilités. Face à son angoisse, il a dédramatiser. Face à ses craintes, il s’est efforcé d’être un soutien solide.
Et pourtant, il n’en mène désormais pas bien large devant son miroir.
Il a l’air d’un manchot dans son smoking.Ils avaient organisé le mariage en catastrophe : hors de question que l’enfant naisse d’une union illégitime ! Les maigres économies du futur officier avaient fondu comme neige au soleil, quand bien même avaient-ils organisé une cérémonie intime.
Loin des rêves de petite fille de celle qui allait devenir sa femme.
Un lourd soupir lui échappe alors qu’il tente à nouveau de desserrer l’emprise du col autour de son cou. Ça va bien trop vite. Ils avaient tellement de choses à vivre encore !
Vont-ils devoir attendre vingt années supplémentaires pour voir leur enfant quitter le nid avant de pouvoir enfin vivre pleinement ?
Oisín secoue la tête pour chasser ses pensées mélancoliques. Il ne faut pas penser à ce qui aurait pu être. Se concentrer sur la réalité. Le présent. Et au présent, il avait à ses côtés une jeune femme qui avait besoin de son soutien plus que jamais.
Pour le meilleur et pour le pire.
Août 1996
“
Oisín...”
“
Hmmmgrmpf?”
Une première paupière se lève, paresseuse. Confortablement installé contre le dos de sa femme, un bras l’enserrant dans leur sommeil, le jeune homme n’a de toute évidence aucune envie de se réveiller. Faith le repousse tout de même, déclenchant un concert de grognements mécontents. Non pas qu’il soit de mauvaise constitution, mais il est comme tout le monde : le réveil impromptu au milieu de la nuit, ça n’aide pas son humeur.
“
Oisín... We need to go to the hospital.”
“
Hmmmmm...”
Oisín, on doit aller à l’hôpital.Ah, il émerge. Les sourcils se froncent dans l’effort surhumain qu’il fournit pour lutter contre le sommeil, et, tout doucement, ses instincts se remettent en route. Il s’approche de la jeune femme, l’enlace tendrement comme s’il ne voyait pas où pouvait bien être le problème et...
C’est au tour des neurones de se connecter.
“
Hospital ? You mean...”
“
Aye, I think the labour has begun.”
L’hôpital ? Tu veux dire...
Oui, je pense que le travail a commencé.Il n’en faut pas plus. Le jeune homme écarte les couvertures et bondit sur ses pieds. La douche ? C’est surfait ! Il a déjà enfilé les premières fringues qui traînaient par là et attrapé le sac d’hôpital – préparé en avance, un conseil de Maman – avant de se rendre compte qu’on avait quelque peu besoin d’aide de l’autre côté du lit. Il abandonne le sac, revient vers sa femme, l’aide à enfiler des vêtements confortables, ses chaussures, et la soutient jusqu’à la petite voiture qu’on leur a offert pour leur mariage.
Il s’en faut de peu pour qu’il oublie le sac !
Abandonnant sa moitié dans la voiture, il court jusqu’à l’appartement qu’ils partagent désormais, attrape les affaires d’hôpital et s’installe derrière le volant.
Blême comme un linge, à ne pas trop savoir quoi faire pour aider Faith qui, elle, a l’air de ne pas passer le meilleur moment de sa vie. Il parle plus que de raison, tente de la rassurer, essaie de lui montrer son soutien à sa façon.
L’arrivée à l’hôpital lui paraît chaotique, alors que le personnel soignant s’occupe de tout avec un professionnalisme exemplaire. Les deux jeunes gens sont accompagnés en salle de travail, et c’est main dans la main qu’ils resteront des heures durant, murmurant quelque parole, quelque souvenir pour aider la jeune femme à traverser cette épreuve.
Il n’a pas tout de suite compris pourquoi la sage-femme lui a, au bout de plusieurs heures, intimé de sortir de la salle. Il n’a tellement pas compris qu’il a fallu qu’on lui pose la question à plusieurs reprises avant qu’il ne conteste. Pourquoi donc ? Il n’allait pas la laisser seule !
Mais c’est pourtant bien ce qui arriva. Et désormais seul dans la salle d’attente, rongé par l’angoisse – car pour quelle autre raison que celle de complications inattendues pouvait-on avoir décidé de le mettre à l’écart – Oisín fait les cent pas sans même s’en rendre compte. Depuis combien de temps est-elle là-dedans ? Combien d’heures devra-t-il encore attendre avant d’aller la rejoindre ?
Et si sa vie était en danger ?
Il ne l’a jamais envisagé. Après tout, qui, de nos jours, meurt lors d’un accouchement ?
Aussi blanc qu’un cachet d’aspirine, il enchaîne les cafés, hésitant même à demander une cigarette à cet autre père qui attend dans la salle alors qu’il ne fume même pas – mais peut-être cela saura-t-il calmer ses nerfs ?
Il ne sait pas combien de temps s’est écoulé quand enfin une infirmière appelle son nom.
Il se tourne immédiatement vers elle et n’a pas besoin de l’entendre annoncer la nouvelle pour comprendre qu’elle sera mauvaise. Il a toujours eu un certain esprit de déduction, et sait lire les expressions comme personne.
“
I’m sorry...”
Je suis désolé...Debout sur le pas de la porte, Oisín a été saisi par la vision de sa femme. Les épaules affaissées, le regard dans le vague. Elle a tourné les yeux vers lui quand il a ouvert la porte, mais ne semble pas le voir. Alors seulement se rend-il compte de toute l’étendue de sa détresse. Il étouffe alors la sienne au plus profond de lui-même et se force à avancer jusqu’à elle.
Entrelace ses doigts auxsiens.
“
I’m so sorry...”
Je suis tellement désolé...Désolé de n’avoir rien pu faire. Désolé de ne pas avoir pu l’empêcher. Désolé de ne pas avoir pu la protéger de cet immense vide qu’ils allaient devoir affronter. Désolé de son irresponsabilité qui l’avait amenée à cette grossesse.
Sa large patte serre la main, plus délicate, de sa jeune épouse, comme pour lui dire qu’il ne répètera pas cette erreur. Qu’il sera là pour elle. Sans se douter de l’épreuve que cela va être pour eux deux. De la violence que ça va réveiller en lui, jusqu’au jour où il la laissera sortir en s’acharnant sur le mobilier de la chambre d’un enfant qui n’a jamais vu le jour. De la peine, du vide qu’ils devront tous les deux surmonter.
Du temps que cela leur prendra.
Pour finalement les rapprocher plus que jamais.
Octobre 1998
“
Back ?”
Sourcils froncés, Oisín a suspendu son geste réflexe en voyant sa femme approcher les doigts d’une coupe de mousseux. Cela fait deux ans, maintenant, qu’ils ont perdu celui qui aurait dû être leur fils, mais il a toujours ce mouvement un peu étrange quand elle veut boire de l’alcool, comme si c’était impensable qu’elle ait une telle envie. Il n’a pas eu le temps de finir son geste, toutefois, interdit face à la remarque de son père.
Ce dernier confirme : les deux parents retournent en Irlande du Nord. Les choses ont changé, là-bas, explique-t-il. La mise en place des Accords du Vendredi Saint met fin à une période de guerre civile entre catholiques et protestants. L’Europe ouvre la frontière vers le sud, ce qui leur permettra de se rapprocher d’Aoife qu’ils voient si peu souvent. Et Eoin veut pouvoir profiter encore de ses parents restés là-bas, là où ceux de Cate les ont quitté quelques mois plus tôt.
Il ajoute que l’installation aux Etats-Unis n’a jamais été que provisoire, et qu’ils ne faisaient qu’attendre le bon moment pour rentrer.
Maintenant, la paix est à construire, et il veut en être.
Le grondement agressif qui monte de la gorge d’Oisín résume parfaitement ce qu’il en pense : ce n’est rien de plus qu’une fuite en avant. Un leurre. Les choses ne seront pas différentes, là bas. La paix à construire... Certes, mais des années de défiance entre communautés ne se balaieront pas d’un simple geste de la main.
“
Maybe the two of you should think about it,” relève Cate en posant les yeux sur Faith.
Peut-être que vous devriez y penser aussi, tous les deux.Cette dernière hausse les sourcils avant de les poser sur son mari. Ils n’ont jamais envisagé retourner en Irlande. Elle est venue sur le Nouveau Continent en toute connaissance de cause, et depuis maintenant quatre ans, elle s’est adaptée à sa patrie d’adoption et se voit mal revenir en arrière.
Alors imaginez un peu pour celui qui a été déraciné et qui a eu toutes les difficultés du monde à s’en remettre !
Et puis, ça n’était pas si simple. Maintenant qu’il s’est engagé dans l’armée américaine, le retour en arrière n’est pas aussi simple. D’autant plus qu’une partie de ses études a été financée par cette même armée, et qu’il leur doit un minimum de service en retour.
Non et puis c’était absolument incongru de leur faire une telle proposition.
Et le ton monte entre le père et le fils. Les arguments, d’abord rationnels, deviennent farfelus. Les reproches gardés pendant des années remontent, se succèdent, avec plus ou moins de fondement.
Au bout d’un moment, Oisín craque et tape du plat du poing dans le mur le plus proche dans l’espoir de décharger sa colère. Il n’a pas apprécié que son père sous-entende qu’il puisse renier ses origines. Mais il a enfin compris que cette dispute ne menait à rien. Alors il préfère se détourner et part prendre l’air pour calmer ses nerfs.
Avant de commettre un acte qu’il pourrait regretter.
Avril 1999
Il fait encore nuit.
Pourtant, tous les soldats de l’unité sont parfaitement éveillés. Le brief a été clair, les cibles parfaitement identifiées. Restait maintenant à mener l’opération.
Voici de longues semaines maintenant qu’Oisín n’a pas revu sa femme. Il ne pensait pas revenir en Europe dans le cadre d’un déploiement non plus, il faut dire. Quelques mois plus tôt, il était encore incapable de situer le Kosovo, ou même la Yougoslavie, sur une carte...
Ils marchent tous d’un même pas habitué, synchronisé. Les derniers regards s’échangent, puis chacun grimpe dans l’avion de chasse qui lui est attribué. La cible du jour est civile : les studios de la Radio-Télévision de l’Etat Serbe. On est loin des idéaux de batailles rangées, où les seuls à risquer leur vie sont ceux qui ont choisi de se battre pour leur pays.
Combien de civils devront encore tomber pour qu’enfin la paix se fasse dans les balkans ?
L’avion décolle avec son lot de sensations familières. Oisín se laisse envahir par le court instant de bien-être que cela lui procure, rejetant ses réflexions qui lui paraissent bien naïves.
Bien enfantines, encore.
La guerre a-t-elle jamais été propre ?
Après tout, lui qui se bat depuis les airs n’aura sans doute que très rarement l’occasion de voir l’ennemi dans le blanc des yeux. Les vies ôtées ne sont qu’un nombre annoncé par les supérieurs, parfois relayé par les médias. Un nombre pour résumer les pertes militaires, les pertes civiles.
Un nombre.
Jamais un visage.
Alors pour eux, ils mourront commes ils ont vécu.
Anonymes.Septembre 2001
Chaque citoyen américain se souvient de ce qu’il faisait le onze septembre.
Il est encore tôt. De retour à la base Joint Andrews Air Force, dans le Maryland, Oisín a dans l’idée de profiter d’un jour de permission bien mérité en compagnie de sa femme. Ils ont traînassé au lit, ce matin, chose qu’ils se permettent rarement. Faith ne travaille pas aujourd’hui, lui non plus, autant en tirer profit. Ils se sont chamaillé joyeusement au creux des draps, ont laissé les choses déraper tout à fait naturellement, toujours avec cette complicité qui les a toujours unis.
D’une humeur radieuse, le jeune homme a préparé un copieux petit déjeuner et l’amène jusqu’à la chambre conjugale. Il prend à peine le temps d’allumer la radio et commence à jouer avec sa compagne, déposant une goutte de sirop d’érable sur son nez, ricanant idiotement, quand un flash info se fait entendre.
Il en a oublié le pancake qu’il était sur le point d’avaler au moment où il entend le mot
terrorist attack. Sourcils froncés, il abandonne sa pitence et monte le volume de la radio, soudainement très attentif. Il sent le mouvement de la jeune femme dans son dos, la main posée sur son épaule alors qu’elle doit écouter avec autant d’attention que lui. Elle n’est donc ni surprise ni vexée quand elle le voit se redresser brutalement et filer prendre une douche. Quand il en ressort, quelques minutes plus tard à peine et la moitié de son uniforme déjà enfilé, elle s’est installée dans la cuisine où elle finit son petit déjeuner.
“
Do you really have to ?”
“
They’ll probably call me anyway. I’ll let you know.”
Est-ce que tu dois vraiment y aller ?
Ils m’appelleront sûrement de toute façon. J’te tiens au courant.Elle n’aime pas son mari quand il a ce côté professionnel. Il devient plus froid, plus succint aussi. Très factuel. Une déformation professionnelle, sans doute. Les premiers signes sont déjà là depuis son retour de Yougoslavie. Elle force tout de même un sourire sur son visage alors qu’il vient lui voler un court baiser.
Et puis, quelques secondes plus tard à peine, il est déjà parti.
Mai 2002
“
I... No, I...” Mais c’est quoi cette infirmière qui ne le laisse pas en placer une ? “
But...” C’est quand même dingue cette histoire ! Elle est plus teigneuse qu’un pitbull ! “
Miss, my wife !” finit-il par trancher d’un ton autoritaire. “
Lieutenant O’Sullivan, I’ve been told my wife has been admitted to your hospital for a child birth.”
Je... Non, je... Mais... Miss, ma femme ! Lieutenant O’Sullivan, on m’a informé que ma femme a été admise dans votre hôpital pour son accouchement. Là. Maintenant qu’on l’écoute, ça va mieux. Les yeux de l’infirmière s’agrandissent et elle finit par le rediriger vers le service indiqué au lieu de lui barrer le passage à tout prix. Le pas rapide, l’air plus inquiet que de raison, l’officier remonte les couloirs, se fait indiquer la route une fois ou deux. La grossesse s’est excessivement bien passée, mais ça ne veut rien dire – c’était déjà le cas la dernière fois. Certes, cette fois ils avaient fait cet enfant en pleine connaissance de cause, et on ne pouvait pas dire qu’il n’était pas voulu. Mais le fantôme de leur enfant mort-né plane toujours, et il a peur que cette fois, ce ne soit pas le petit être mais la mère qui y reste.
Une angoisse qui ne le quittera pas, même quand il peut enfin entrer dans la salle de travail où Faith subit déjà des contractions bien trop importantes à son goût.
Tout a l’air de se passer bien, constate-t-il avec un certain soulagement. Il s’installe alors aux côtés de sa femme, attrape sa main, grimace en la sentant la broyer dans la sienne.
“
Where the feck have you been ?”
T’étais où putain ?Nouvelle grimace. Il se garde bien de répondre – était-ce vraiment important ? – puisque, quoi qu’il dise, ça ne serait pas recevable à ses yeux, et se contente d’être la présence solide et rassurante qu’il a toujours été. Une parole tendre, un encouragement dans une langue qu’eux seuls comprennent.
Et puis des cris.
La jeune mère, épuisée, esquisse un sourire, échange un regard avec son époux quand on lui pose le nouveau-né contre le sein.
Une petite fille.
Saoirse.
Avril 2003
Les nuits sont courtes.
La chaleur est étouffante.
Oisín se redresse de son lit de camp, s’étire longuement. Les bombardements sur Bagdad se sont multipliés ces derniers jours. Ils annoncent, immanquablement, l’arrivée des troupes au sol. Cela ne fait que quelques semaines qu’ils ont été déployés en Irak, et tous se demandent quand le régime de Saddam Hussein finira par tomber. Pourquoi sont-ils là ? En réponse au onze septembre, ça ne fait aucun doute.
Personne dans les rangs, pourtant, ne sait précisément la raison de leur présence ici. Oh, ils connaissent tous les raisons officielles, bien sûr, annoncées par le Président en personne quelques mois plus tôt quand il espérait l’aval de l’ONU pour envahir ce territoire du Moyen-Orient.
Le jeune officier tend la main vers ses effets personnels, et se rallonge une fois qu’il a trouvé ce qu’il cherche. Dans quelques semaines, Saoirse aura un an. Et il ne sera pas là pour le voir. Comme il a été absent pour ses premiers pas, comme le lui a appris Faith au téléphone. Elles lui manquent toutes les deux. D’un geste du pouce, il caresse le papier glacé qui lui renvoie leur image, quand bien même ne leur fait-il pas honneur. Sa femme a l’air des plus fades sur cette photo. Le sourire de sa fille est mille fois plus radieux.
Oui, elles lui manquent.
Mais c’est aussi de les savoir en sécurité, et d’avoir la conviction d’agir en ce sens en servant son pays qui lui permet de tenir ici. Malgré les cris, les bruits des armes à feu, l’odeur de décomposition et les camarades qui tombent au combat. Tant de choses qui font partie de son quotidien. Ce n’est pas tout, heureusement ! Il y a aussi l’humour gras dont ils font preuve, puisqu’ils ne sont qu’entre hommes dans son unité. Les moments de camaraderie. Les taquineries de mauvais goût.
Ça aussi, ça aide à tenir.
En attendant de pouvoir oublier cette peur qui prend aux tripes entre les bras de celles qu’il aime.
Novembre 2005
“
Saoirse !”
La voix paternelle tonne, forte et autoritaire. La petite fille s’arrête net, coupée dans sa tentative de fuite. Ils n’ont pas pu confier la petite fille à un voisin, et ont dû l’emmener avec eux quand les contractions sont arrivées. Oisín est donc condamné à la salle d’attente, veillant sur la prunelle de ses yeux sans pouvoir en faire autant pour celle qui, en ce moment même, lutte contre la douleur de l’enfantement.
Balayant les inquiétudes, il attrape de ses grands mains l’enfant qui revient vers lui et la hisse jusqu’à la caler sur un de ses genoux. Il échange quelques mots avec elle, redevient l’homme joueur qu’il peut être en compagnie de ses proches. Il joue du bout de l’index sur le petit nez, tire délicatement sur une bouclette pour en vérifier le rebond, bref, il s’amuse avec la gamine qui le lui rend bien.
“
Lieutenant O’Sullivan ?”
Saoirse s’est endormie contre le torse de son père, pouce calé dans la bouche. Lui-même a sauvagement assassiné au moins trois litres de café depuis qu’il est arrivé à l’hôpital. Il se redresse avec mille précautions, cale correctement la petite fille dans l’espoir de ne pas la réveiller et suit docilement l’infirmière jusqu’à la chambre de son épouse.
Un grand sourire, bien qu’un peu fatigué, accueille le père et la fille. Oisín prend le temps de poser délicatement sa petite chose dans un fauteuil, la couvre avec sa veste, avant de venir près de son épouse et du petit être qui tête le sein comme si sa vie en dépendait.
Un petit Patrick.
Juillet 2006
Il fait bon, ce matin.
Une belle matinée d’été. Quelque part en Californie, dans la base militaire de Marysville, deux époux s’adonnent à la tendresse matinale. Les nuits sont courtes, entre Saoirse qui se lève immanquablement à sept heures pétantes et Patrick qui ne fait toujours pas ses nuits. Ils profitent de la présence de l’homme de la maison ces derniers temps pour trouver un rythme confortable, mais ils savent tous les deux que ce n’est qu’une accalmie passagère. Les conflits en Irak sont loin de s’apaiser et Oisín risque d’y être renvoyé incessamment sous peu.
Les deux corps basculent, non sans avoir écarté les draps pour profiter du courant d’air venu du large qui leur apporte un peu de fraîcheur. Les lèvres se cherchent, se lient, se dévorent non sans une certaine impatience.
Combien de minutes avant de la petite fille se fasse entendre dans la cuisine, réclamant à tort et à cris qu’on la nourrisse ? Combien de temps de répit le petit dernier va-t-il accepter de leur octroyer avant de se mettre à hurler à nouveau ?
Pas très longtemps. Car dès que les deux amants commencent à se retrouver, des cris retentissent dans l’appartement.
Bon. Ça sera pas pour cette fois, donc.
Un regard s’échange entre les deux parents alors qu’Oisín se couvre de façon à peu près décente et file s’occuper de sa fille, déjà installée à table, cuillère à la main, pendant que Faith part calmer le petit sauvageon qu’ils ont tiré de ses entrailles.
Et c’est parti pour une nouvelle journée partagée entre les dessins, les jeux, les cris, les babillages, et j’en passe et des meilleures. Pourtant, ce sont dans ces instants d’insouciance que réside le vrai bonheur. Il en a parfaitement conscience et s’y complaît complètement.
De petits moments de bonheur.
Octobre 2007
“
I will have none of it, Lieutenant !”
Je ne veux pas cela, Lieutenant !Le dos dressé dans une posture des plus militaires, Oisín reste parfaitement impassible alors que son supérieur lui assène les ordres. Pourtant, il a la poitrine gonflée d’indignation, les mâchoires serrées, et regarde droit devant lui pour ne pas se retrouver à fusiller l’homme face à lui du regard.
La mission d’aujourd’hui a été un désastre. Sur son unité, ils ne sont que trois à être revenus, lui compris. Et il est hors de question qu’il laisse ses hommes derrière lui. L’esprit de corps se base sur la confiance mutuelle, et c’est à ces yeux là qu’est le rôle de l’officier : la vie de ses hommes est entre ses mains, et il est de son devoir de les ramener à la maison.
Autant que faire se peut.
Alors quand le Major Hopkins lui refuse quelques hommes volontaires pour aller les chercher, il ne peut que s’inscrire en faux. Les abandonner ainsi, derrière eux, sans se retourner ? Alors qu’ils sont sans doute vivants, peut-être même se cachant dans l’attente de renforts ? C’est insupportable.
Les tuer reviendrait au même.
Alors, quand le major lui permet de se retirer, Oisín n’hésite pas une seconde. Obéir aux ordres, c’est une chose ; y obéir aveuglément en est une autre.
Il est suivi par les deux autres survivants de l’unité. Et l’équipe se prépare, s’éclipse de nuit, chacun parfaitement conscient des risques encourus – bien que le Lieutenant O’Sullivan se garde des cartes pour leur permettre de s’en sortir, quitte à ce que lui s’enfonce un peu plus dans les ennuis.
Vous ne saurez pas ce qu’il s’est passé exactement cette nuit là – Oisín refuse catégoriquement d’en parler, comme c’est le cas pour la majorité de ses missions de terrain. Sachez simplement qu’au petit matin, l’unité était à nouveau au complet, et que plusieurs camarades ainsi récupérés ont été rapatriés en urgence.
Lui ? Il a été mis à pied par son supérieur. L’avenir lui prouvera pourtant qu’il a fait le bon choix : il plaidera le refus d’obéir à un ordre illégal devant la Cour Martiale, obtiendra gain de cause et sera décoré pour son courage et sa loyauté.
Et promu au rang de Lieutenant-Colonel.