what a man gotta do (victoria)

Sous les lumières fades du bar, Ryder tord son poignet pour vérifier l'heure. Son verre de whiskey, qu'il n'a pas encore touché. Le liquide lui paraît trop amer, trop violent pour son palais sensible, qui préfère les cocktails bien faits – secret bien gardé, non pas qu'il en ait honte, mais parce qu'il préfère jouer l'homme mystérieux au goût ambré sur la langue, plutôt qu'une odeur de noix de coco qui, il en est convaincu, ne l'aidera jamais à attirer qui que ce soit. Le problème, au-delà de ses goûts en terme d'alcool, c'est sa maladresse impossible, les mots qui s'échappent de ses lèvres sans contrôle aucun, et qui lui donnent envie de se rouler par terre et disparaître dans le parquet. Jones est en retard – une habitude dont Ryder dit s'être accommodé, pourtant il s'attelle à être toujours à l'heure, quitte à l'attendre une demi heure, une heure, ou bien deux. Le temps file, il gratte le bois du comptoir, soupire une, deux, huit fois. L'aiguille poursuit sa course autour du cadran, Ryder redresse les épaules, inspire, et se décide à appeler son collègue, ami, connaissance (il n'est pas très sûr du mot à utiliser). Jones répond, la voix verrouillée, souffle des excuses vagues qui semblent malhonnêtes mais, là encore, habituelles, et Ryder raccroche d'un no problem, bud. Comme s'il ne l'attendait pas depuis deux heures comme un con, à tourner son index autour de son verre, incapable d'en boire une goutte, à chercher l'excuse idéale au cas où on lui pose la question. I'm waiting for someone. Mais le prétexte s'est fait la malle, a décidé qu'il préfère être ailleurs en ce samedi soir un peu lamentable (et pour ça, il le comprend presque). - Can't believe I just got stood up, il grince entre ses dents crispées. Il a envie d'avaler le whiskey en une seule fois (et s'étouffer avec, tant qu'on y est), attraper sa veste et disparaître à son tour pour rejoindre son canapé et son chat. Les doigts autour du verre, il observe les petites vagues du liquide qui s'agite alors qu'il le remue en douceur. Il l'a payé, ce verre, une fortune car les bars sont des arnaques, alors il est résigné à le boire quoi qu'il lui en coûte. Un rire s'élève au-dessus de la musique, clair, enjoué, et suffit à lui faire relever les yeux. Elle est en face, silhouette à peine éclairée par les lampes jaunies, les lippes relevées en un sourire qui le fait sourire, lui aussi. Elle est jolie – non, elle est belle, les yeux brillants du trop plein d'alcool, sans doute, et lorsque son amie (sans doute) disparaît, il se traîne, veste sur l'épaule, jusqu'à se tenir à ses côté. - Can I offer you a drink ? Il appuie un coude sur le comptoir, son verre encore plein dans une main, et son attitude le fait grincer des dents. Tout sonne faux, à ses oreilles, mais le reste du monde le voit comme il se présente : confiant, souriant, le regard en coin, les lèvres en un demi-sourire charmeur. A l'intérieur, il a presque envie de pleurer de ce ton ridicule qu'il prend à chaque fois, un poil macho, trop envahissant, un crétin que les femmes fuient au plus vite (il le sait, il en a fait les frais). Mais il n'a rien d'autre à offrir, Ryder, que ces mimiques à en gifler plus d'un, parce que c'est tout ce qu'il sait faire. What a douchebag. Et il veut lui dire, à l'inconnue au parfum doux, qu'il n'est pas comme ça, que ça n'est qu'un masque dont il n'a jamais su se débarrasser, parce que ça fonctionnait lorsqu'il était dans sa vingtaine, et que depuis, il avait passé trop de temps à s'amouracher d'une femme fiancée pour mettre à jour ses techniques de drague. - I've been told you should never let a lady drink alone. Plus, I'm not sure this bar is really safe for women. Sa voix est plus grave que d'ordinaire. Il lui offre un sourire équivoque qui lui donne envie de se claquer, pose son verre sur le bar, et souffle un coup, discret, en se disant que, peut-être, cette fois-ci, il pourrait faire un effort, moderniser son attitude, car l'inconnue n'est pas belle, elle est sublime, et de tout près, là, la courbure de ses lèvres et le mouvement de ses cheveux sous l'aération lui donnent des palpitations. - But, em, I guess it's up to you. I'm Ryder. Ryder Lynch. La semi-référence à James Bond lui arrache un semi-rire jaune, alors qu'il lui tend une main rugueuse. Come on, Lynch, don't mess this up.